La Bicyclette Gérard : le vélo comme arme de guerre

, par  Thierry Roch

A l’occasion de la commémoration du centenaire de l’armistice de la première guerre mondiale, pour les passionnés de vélo que nous sommes, il nous apparaît important de rappeler le rôle assez méconnu et pourtant essentiel que le vélo a joué dans cette guerre, pas seulement comme estafette mais aussi et surtout comme arme de guerre.

Du cheval au vélo pour se déplacer

On ne retracera pas ici toute l’histoire de la bicyclette dont on a fêté les 200 ans l’année dernière. A la fin du XIXème siècle et début du XXème, le vélo vient progressivement détrôner le cheval comme mode de déplacement (plus rapide, moins cher, plus résistant et moins contraignant). « A partir de 1870 la bicyclette devient le symbole du progrès et de la modernité, réservé au début à une élite bourgeoise » écrit Frédéric Héran [1] avant de se démocratiser. « La bicyclette s’impose dès les années 1890 comme un phénomène industriel et social de grande ampleur tout en restant un objet d’inventions techniques » pouvait-on ainsi lire au musée national de la voiture à Compiègne [2]. Un phénomène qui passe par l’armée. Les militaires du XIXème siècle étant confrontés à de nombreuses difficultés en terme de transport et de rapidité de déploiement.

La bicyclette Gérard

Dans ce contexte, le lieutenant Henri Gérard, né en 1859 dans l’Aisne, et basé à Saint Quentin dans l’Oise consacra une énergie folle à la fin des années 1890, à concevoir une bicyclette pliante, relativement légère et maniable pour faire admettre à ses supérieurs, les multiples services que cet engin pouvait fournir à l’armée.

Partant du principe « qu’il fallait faire porter le cycle par le cycliste là où le cycliste ne pouvait être porté par le cycle » Henri Gérard, alors Lieutenant dans l’infanterie au 87ème de ligne, invente la bicyclette pliante dès 1893. Il la perfectionna avec Charles Morel, un industriel grenoblois et un mécanicien de la même ville, Adolphe Dulac, qui aurait également contribué à l’améliorer en la dotant entre autre d’un pédalier avec entraînement par chaîne. Dès 1894, le lieutenant Gérard publie un ouvrage d’une centaine de pages intitulé : « Le Problème de l’infanterie montée résolu par l’emploi de la bicyclette ». En effet, la bicyclette pliante Gérard est facile à transporter et adaptable à toutes les morphologies grâce à son cadre réglable, la bicyclette pliante pouvait être utilisée en appui à la cavalerie, sur tous les terrains, en particulier les terrains non préparés. Elle permet aussi aux soldats, sans descendre de leur monture, d’utiliser leur fusil en posant les pieds à terre.
Elle pèse 13 kilos. En 1914, 1 000 exemplaires seront commandés en urgence à Peugeot, un modèle non pliant mais démontable. 

Elle a déjà conquis les civils : exposée au Salon du Cycle à Paris en décembre 1894, elle est brevetée en 1894-1895. Dès 1899 elle est vendue à la clientèle civile (300 Francs, le 1/4 du salaire d’un ouvrier nous apprends M. Christophe Lagrange, petit fils d’un chasseur cycliste [3]). Elle est vendue à destination de toute la famille, dès l’âge de 8 ans. Elle a la particularité de pouvoir être repliée roue contre roue en 35 secondes et de se porter sur le dos. 

Des fantassins cyclistes

Les premiers cyclistes militaires combattants apparaissent en France en 1895 lors des grandes manœuvres équipés de la bicyclette Gérard.

La création des premières unités cyclistes, sous forme de compagnies ou pelotons, remonte à 1899. En 1903, les cinq compagnies cyclistes sont transférées à des corps de chasseurs à pied. Regroupées sous le commandement de Gérard (devenu capitaine), puis après sa mort en 1908, sous celui du général Mordacq (le héros de la résistance du fort de Douaumont en 1916, récompensé par le fils de Guillaume II pour sa bravoure). 

Transformées en compagnies permanentes en 1905, elles sont intégrées de plein droit à l’armée, et participent aux grandes manœuvres organisées en septembre 1908.
Le 4 avril 1913, les compagnies sont transformées en dix groupes de chasseurs cyclistes qui sont subordonnés aux dix divisions de cavalerie de l’armée française.

Leur rôle est de soutenir la cavalerie amie et de lui apporter des capacités de combat d’infanterie contre la cavalerie et l’infanterie adverse et profiter de son agilité et de sa rapidité de déploiement. « Le fait qu’elle soit pliable a permis aux soldats de pouvoir passer dans des endroits jusqu’ici impossibles d’accès, comme des champs de labour par exemple, en leur permettant de plier leur vélo et de le mettre sur leurs épaules. C’était très ingénieux » peut on lire dans le Courrier Picard à l’occasion du départ du Paris-Roubaix en 2018..

Ces groupes sont utilisés lors de la bataille des frontières et la bataille de la Marne. L’arme cycliste est une arme de mouvement, mais leur activité s’éteind avec la guerre de tranchées. Elle reprend lors des phases de mouvement de 1916 à 1918. Dès 1917 ils commencent à être remplacés par les motocyclettes et l’infanterie blindée. Les groupes sont dissous dans les années 30 et repris en partie par les dragons portés.
Au total plus de 45 000 exemplaires de la bicyclette Gérard auront été fabriqués.

L’usage de la bicyclette pendant la guerre dans d’autres pays

Pendant la Première Guerre mondiale, la bicyclette est extrêmement utilisée que ce soit dans l’infanterie, le renseignement, la transmission des informations ou pour les soins médicaux. L’armée allemande conduit une étude sur l’usage de la bicyclette et publie ses résultats sous le titre « Die Radfahrertruppe ». Pendant ce temps, en Italie, les unités « Bersaglier » utilisent des bicyclettes Bianchi jusqu’à la fin de la guerre, ainsi que les Belges avec la Belgica. Cette machine révolutionnaire transforma radicalement l’usage du cycle par les forces armées, qui jusque-là ne l’utilisaient que comme simple moyen de transmission : capacité à transporter de lourdes charges (environ 180 kg) et des approvisionnements à la vitesse d’un homme qui marche le rend très utile pour les forces légères.

Et aujourd’hui ?

Si on trouve des Vélos à Assistance Electrique sur la plupart des bases militaires de France, c’est surtout pour compenser la baisse du parc de véhicules automobiles, ces vélos servent aux trajets courts, de liaison sur la base. Leur usage militaire n’est plus très répandu. Il aurait été utilisé pour des missions de renseignements par les Etats-Unis et les Pays Bas notamment sous la forme de VTT en Afghanistan.

Chasseur Cycliste et Bicyclette Gerard exposés à Chauny

Une bicyclette Gérard et un fantassins exposés à Chauny en nov. 2017 AU5V


Tourisme historique à vélo


A Compiègne, les pistes cyclables en forêt sont très nombreuses et utilisées également par les touristes pour rejoindre les sites historiques, y compris la clairière de l’Armistice.


Verdun, sur les traces de la grande guerre à Vélo

Depuis mai dernier, l’office de tourisme de Verdun propose à la location (demi journée ou journée) des VAE accompagnés de plusieurs itinéraires dont 2 à la découverte de l’histoire de la grande guerre. Quoi de plus efficace qu’un VAE pour parcourir les champs de bataille, découvrir les villages abandonnés, les forts ou visiter comme ici un abris de combat à Froideterre. Les sites sont éparpillés autour de Verdun mais connectés entre eux par une route départementale et quelques voies vertes.

Sources et notes

De nombreuses sources ont été utilisées pour la rédaction de cet article, dont le forum gcc1418 animé par Bruno Barrier. Ce dernier sera présent à la Bibliothèque Clément Ader IGESA du quartier Balard (Paris 15e) le 9 novembre 2018 afin de présenter et dédicacer son livre sur « les Chasseurs cyclistes au combat, faits d’armes dans le Cambrésis en 1914  ». dans le cadre d’un salon sur le thème de la Grande Guerre, entouré de 15 historiens nationaux. Mr Barrier présentera son exposition sur les Fantassins Cyclistes les 1er et 2 décembre à l’hôtel de ville de Valenciennes sous forme d’un diorama représentant un bivouac avec bien entendu la présence du chasseur cycliste et de sa monture.